Fish Stikh 5: être grand


Справа Днепр, а слева клены,
Высь небес тепла.
В день прохладный и зеленый
Я сюда пришла.

Без котомки, без ребенка,
Даже без клюки,
Был со мной лишь голос звонкий
Ласковой тоски.

Не спеша летали пчелки
По большим цветам,
И дивились богомолки
Синим куполам

À droite le Dniepr, à gauche des érables
Au soleil de midi.
Sous la verdure fraîche et agréable
J’arrivais par ici.

Point de besace, de canne ou d’enfant,
Puisque je n’avais pris
Comme compagnon, que le tendre chant
De la mélancolie.

Sans se presser les abeilles volaient
Parmi les tournesols,
Et mes prières s’émerveillaient
De l’azur des coupoles.

Anna Akhmatova
<8> juillet 1914 <?>, Kyiv

Pieds: 9/6
(original: 8/5)


Comment faire rimer grandes fleurs et coupoles ?
Pour un poème ukrainien, il ne fait aucun doute: faire appel aux tournesols, vu qu’il y a de fortes chances que ce soit d’eux dont Akhmatova parle ici.

Grandes fleurs, grands poissons: place à la clique des empereurs !

Poisson-ange empereur, ras kokaamas, 30 cm

Empereur à nageoires oranges, boli-ke, 50 cm

Napoléon, maa hulhunbu landaa, 2 m


Les tournesols et l’Ukraine, comme dans cette scène du film Everything is illuminated.

Fish Stikh 4: stresser… respirer


Широко распахнуты ворота,
Липы нищенски обнажены,
И темна сухая позолота
Нерушимой вогнутой стены.

Гулом полны алтари и склепы,
И за Днепр широкий звон летит.
Так тяжелый колокол Мазепы
Над Софийской площадью гудит.

Все грозней бушует, непреклонный,
Словно здесь еретиков казнят,
А в лесах заречных, примиренный,
Веселит пушистых лисенят.

La grande porte ouverte aux quatre vents,
Les tilleuls sans feuilles et misérables,
Et la sombre dorure se craquelant
En haut des murs creux et inviolables.

Autels et cryptes bourdonnent pendant
Qu’au-delà du Dniepr s’envole un bruit.
Celui de la cloche Mazepa tonnant
Au-dessus de la place Sainte-Sophie.

Elle gronde, inexorable, comme au temps des
Hérétiques menés à l’échafaud.
Mais au-delà du fleuve, dans les forêts,
Elle égaye, paisible, les renardeaux.

Anna Akhmatova
21 septembre 1921

Pieds: 10/9


Pendant dix vers, la tension monte. Le décor planté n’est pas très riant (misérable, se craquelant…), l’atmosphère est de plus en plus menaçante (tonnant, gronde, échafaud…).
Puis en deux vers, retour au calme (égaye, paisible…) pour finir sur l’image mignonne de renardeaux. Duveteux, en version originale, précision sacrifiée sur l’autel des pieds.

Quel rapport à nos poissons ? Ce même sentiment d’appréhension qui grimpe à l’idée de les rencontrer (ils portent des noms menaçants) pour finalement se rendre compte qu’ils n’étaient pas si féroces.

Poisson-cocher fantôme, hindu dhidhamas bibee, 18 cm

Nason à éperons oranges, ran geri, 30 cm

Raie léopard, vaifiya madi, 1.4 m d’envergure

Fish Stikh 3: tricher


Синий вечер. Ветры кротко стихли,
Яркий свет зовет меня домой.
Я гадаю: кто там? – не жених ли,
Не жених ли это мой?..

На террасе силуэт знакомый,
Еле слышен тихий разговор.
О, такой пленительной истомы
Я не знала до сих пор.

Тополя тревожно прошуршали,
Нежные их посетили сны.
Небо цвета вороненой стали,
Звезды матово-бледны.

Я несу букет левкоев белых.
Для того в них тайный скрыт огонь,
Кто, беря цветы из рук несмелых,
Тронет теплую ладонь.

L’heure bleue. Peu à peu, le vent est tombé,
Une vive lumière me rappelle chez moi.
Je le devine: qui est là ? Mon fiancé ?
Est-ce mon fiancé que je vois ?

Cette silhouette que je connais par coeur,
Sur la terrasse, parlant doucement.
C’est une nouvelle et affolante langueur
Que je découvre à présent.

Les peupliers, sensibles, frémissent du haut
De leur cimes bercées de doux rêves.
Le ciel est bleu acier, aile de corbeau,
Des étoiles blanc pâle s’y lèvent.

Je porte un bouquet de giroflées roses.
Un feu secret se terre en son coeur,
Pour qui, les prenant de mes mains qui n’osent,
En sentira la moiteur.

Anna Akhmatova
Septembre 1910, Tsarskoïe Selo

Pieds: 10/9/10/7


Giroflées roses: elles sont blanches dans l’original, mais elles ne rimeraient pas. « Une fiancée en blanc qui rosit de timidité », voilà comment un exégète zélé pourrait justifier cette trahison.

Sous l’eau, il arrive que les poissons trichent avec leur couleurs. Et sur terre c’est encore pire…

Vivaneau chien rouge, raiymas, 60 cm

Poisson feuille de palmier, Filitheyo mas, 40 cm de la tête aux pieds

Poisson-papillon à raies rouges, handhufalhi bibee, 18 cm

Pour apprendre à faire un poisson en feuilles de palmier: par ici

Fish Stikh 2: nommer les couleurs

Жарко веет ветер душный,
Солнце руки обожгло,
Надо мною свод воздушный,
Словно синее стекло;

Сухо пахнут иммортели
В разметавшейся косе.
На стволе корявой ели
Муравьиное шоссе.

Пруд лениво серебрится,
Жизнь по-новому легка…
Кто сегодня мне приснится
В пестрой сетке гамака ?

Le vent chaud souffle de tout son poids,
Le soleil grille mes cheveux,
Et le ciel au-dessus de moi
Est une voûte de verre bleu.

Le parfum sec des immortelles
Au passage de la faux.
De noires fourmis en ribambelle
Prennent un sapin d’assaut.

L’étang scintille nonchalamment,
La vie redevient légère…
De qui rêverai-je, couchée dans
Le hamac bleu, jaune et vert ?

Anna Akhmatova,
Janvier 1910, Kyiv

Pieds: 8/7


Le hamac bleu, jaune et vert: ça aurait pu être bleu, blanc et vert, aux couleurs de mes cahiers de cet été, ou noir rouge et vert
La traduction fidèle serait les mailles bigarrées du hamac, mais ça ne rimait pas avec légère.

On parle toujours des poissons colorés des récifs coralliens:

Nommons-les, ces couleurs,
Pour leur faire honneur !

Pieds: 6/5

Carangue bleue, fani handhi, 60 cm

Tamarin bicolore, kalhali thunbodu hikaa, 50 cm

Poisson-ange à tête bleue, boa reendhoo kokaamas, 40 cm


Fish Stikh 1: changer de forme

На столике чай, печения сдобные,
В серебряной вазочке драже.
Подобрала ноги, села удобнее,
Равнодушно спросила: «Уже ?»
Протянула руку. мои губы дотронулись
До холодных гладких колец.
О будущей встрече мы не условились.
я знал, что это конец.

Sur la petite table, du thé, des pâtisseries,
Des dragées dans une coupelle en argent.
Ramenant les jambes sous elle, elle s’avachit
Et dit d’un ton las: « Est-il temps ? »
Elle tendit la main. Mes lèvres frôlèrent le coin
De ses anneaux lisses et glacés.
De prochain rendez-vous nous ne fixèrent point,
C’était fini, je le savais.

Anna Akhmatova
9 novembre 1910, Kyiv


Pieds: 12/10/11/8/12/8/11/8
(original: 10/9/11/9/14/8/12/7)


Le coin de ses anneaux: pour les besoins de la rime (bord ne rimant pas avec point), un oxymore est apparu, qui souligne le caractère hostile des anneaux en question et surtout de la main qui les porte.

Chez certains poissons aussi, la frontière entre rond et carré est mince: étant en temps normal de la forme d’un carton à chaussures avec des nageoires, ils peuvent se gonfler comme un ballon, pour éviter d’être avalés, par exemple.

Poisson-coffre pintade, gonu, 20 cm


Poisson porc-épic à taches auréolées, kashi koli, 45 cm

Qu’est-ce qui est plus mignon qu’un poisson porc-épic ? Deux poissons porc-épic !

Fish Stikh: introduction

Poisson-cocher grégaire, dhidhamas bibee, 18cm

Stikh: trancription du mot russe стих, le vers

Classiquement, on accompagne le poisson de pommes de terre vapeur, de riz ou de frites.
Les dessins de poissons, en revanche, s’accordent à merveille avec la poésie. C’est ce qui a fait le sel et le délice des dernières vacances à Filitheyo.

Il y a sûrement des fautes dans mes traductions des poèmes d’Anna Akhmatova. D’autre part, je me suis permis certaines libertés, le but étant de respecter autant que possible les pieds et les rimes.


On sait depuis South Park que les Fish Sticks sont à l’origine de la blague la plus drôle du monde.

Ishikari 4


Étape n°1
Étape n°2
Étape n°3

Étape n°4: Fukagawa – Shinshinotsu, 77 km

Nous voici dans la plaine de l’Ishikari, vaste et plate: les champs alternent avec les rizières.
Au programme aujourd’hui: une gare fantôme et un jeu de piste.

À une bonne soixantaine de kilomètres de Fukagawa, peu avant la petite ville de Tsukigata, nous accostons sur la rive droite au lieu-dit Akarasunai: de là, un sentier partant vers le nord nous amène à l’ancienne gare de Toyogaoka. Pour les amateurs de rails perdus dans la verdure (belle photo sur Google Earth)…

Pour la nuit, il y a trois options à Shinshinotsu: un camping, une maison d’hôtes (ひげ父さんの家 : « Maison du père barbu/moustachu ») et un hôtel avec onsen.
Et pour avoir de quoi grignoter dans son lit, partons à la recherche d’une pâtisserie perdue dans les champs.

Suivre la route qui part à l’ouest de l’hôtel: sur notre droite, un sanctuaire shintō puis un temple bouddhiste. Tourner à gauche puis au prochain carrefour, tourner à droite. On passe un carrefour, une rivière, un ruisseau, trois carrefours et au quatrième, tourner à gauche. Un peu plus loin sur votre droite, après un corps de ferme, se trouve dans une bicoque en bois la pâtisserie (ouverte uniquement le week-end).


En japonais, hige (ひげ) signifie barbe ou moustache: petit explicatif ici.
À ne pas confondre avec le hygge danois, qui n’a rien à voir dans cette histoire… ou presque !

Ishikari 3 (et des épinards au sésame)

Étape n°1
Étape n°2

Étape n°3: Asahikawa – Fukagawa, 29 km

L’étape du jour est courte: la matinée sera consacrée à la visite d’Asahikawa, deuxième plus grande ville d’Hokkaido.

Le principal monument semble être le pont Asahi (en premier plan sur le dessin), construit avec de l’acier allemand en 1932…
Tout près (la masse d’arbres foncés derrière la pont sur la gauche) se trouve le parc Tokiwa: promenade sous les arbres, visite du sanctuaire Kamikawa sur son île au milieu de l’étang, repos sur un banc avec un livre de Yasushi Inoue (natif d’Asahikawa) et un bento pour le repas de midi… avec des épinards au sésame, par exemple (recette ci-dessous).

On reprend la route, ou plutôt, les flots.

Arrivés à Fukagawa, les geeks pourront aller voir le Chatbus, situé au sud-est de la ville, à un bon gros kilomètre à l’est de la sortie de l’autoroute. Il y a un camping et une brasserie de cidre tout près.


pour deux petites portions d’épinards au sésame: 350 g d’épinards frais, 2 cc de tahini, 1 cc de miel, 1 cs de graines de sésame, 1 cs de sauce soja, 2 cs de vinaigre de riz, 3 cs d’huile de sésame grillé

Blanchir les épinards, les rincer à l’eau froide, les essorer en les serrant fortement entre les mains et les couper en petits tronçons de la taille d’une bouchée. Faire griller les graines de sésame dans une poêle à sec. Mélanger les ingrédients pour la sauce. Verser sur les épinards et parsemer de graines de sésame grillé.


Un autre regard sur Asahikawa, inspiré par Haruki Murakami.

Ishikari 2

Étape n°1

Étape n°2: Sōunkyō – Asahikawa, 77 km

Après avoir passé un camping puis un golf, 1 km environ après celui-ci, première petite halte de la journée: les commentaires sur la carte parlent de « chou puant« , mais il s’agit ici en fait de son cousin japonais, le lysichite blanc. Qui lui ne sent pas mauvais…

Son nom japonais, mizu bashō, signifie « bananier d’eau » et on ne parle pas de n’importe quelle bananier: le musa bashō (ou bananier du Japon) qui inspira le poète Bashō pour son pseudō. L’occasion de pondre un haiku:

La rivière coule
Un cal dans ma main
Ramant sous la lune

La rivière débouche dans la plaine, on passe les villages de Kamikawa et Aibetsu et juste avant d’arriver dans les faubourgs d’Asahikawa, une dernière halte botanique: sur les pentes de l’Otokoyama National Park pousse l’Erythronium japonicum, cousin de notre dent de chien. En japonais, katakuri: et les gourmands le connaissent bien puisque son bulbe est utilisé sous forme de poudre pour fabriquer entre autres les ichigo daifuku !


Au cas où le cal dans la main s’accompagnerait d’un creux à l’estomac et d’un intense mal du pays, la boulangerie Mawarimichi à Tōma propose pain au chocolat, stollen et jambon-beurre.




Tourisme fluvial: Ishikari 1



Ma dernière expédition fluviale s’étant embourbée peu après Blagovechtchensk, et ce coin du monde perdu pour l’instant, j’ai allègrement sauté par-dessus la mer du Japon pour descendre le principal fleuve d’Hokkaidō, l’Ishikari.

Étape n°1: Naissance de l’Ishikari – Sōunkyō, 26 km

Départ au point de confluence des deux ruisseaux donnant naissance à l’Ishikari, le Nutapukanbetsu et le Kuchanbetsu: 43°34’05.8’’N, 142°59’05.3’’E.

Un héliport, un lac artificiel et un barrage plus tard, nous arrivons dans les gorges de Sōunkyō. À voir: des formations rocheuses et des cascades.

Retour à la civilisation dans le village de Sōunkyō, qui dispose de sources thermales: arrêt obligatoire aux bains publics (Kurodake-No-Yu Public Onsen). En farfouillant au supermarché (le 7-Eleven) je rapporte quelques souvenirs (à retrouver dans leur photos sur Google Maps): du salami, des caramels d’Hokkaidō dans des boîtes kawai, du miel et une patte d’ours en bois pour faire des massages.


Savez-vous ce qu’est un bras-mort ? Rien à voir avec les kilomètres à la rame… mais c’est grâce à la rivière Ishikari (et Wikipédia) que je découvre ce mot et ses traductions pour fashionistas: Oxbow lake en anglais, billabong en australien.