L’Art à ses balbutiements

En vacances, au soleil sur un balcon à la montagne. Le moment parfait pour renouer en douceur avec mon carnet de croquis. C’était sans compter sur les pulsions créatives des jumeaux: l’exercice se termine en impro à 4 mains.

L’occasion de se remémorer les conseils de Felix Scheinberger dans son livre Mut zut Skizzenbuch.

« Muss es ein sündhaft teures Moleskine-Buch sein oder tut es auch das « No Name »-Buch aus dem Supermarkt ? Um ehrlich zu sein: sei werden keine besseren Zeichnungen machen, nur weil Sie sich das teuerste Skizzenbuch kaufen. Eher im Gegenteil: Bei einem wertvollen Buch haben Sie möglicherweise Angst, darin Fehler zu machen. Und ohne Fehler geht es nun mal nicht. »

Honnêtement, vos dessins ne seront pas meilleurs parce que vous vous êtes acheté le carnet de croquis le plus cher. Bien au contraire: dans un cahier précieux, vous aurez probablement peur de faire des fautes. Et un sans faute, c’est mission impossible.

En l’occurrence, mon carnet n’est pas moins cher qu’un Moleskine, mais ce n’est pas un objet de collection non plus: je laisse de bon coeur des gribouillis réchauffer mes chaussettes ratées (en plus…).

Sur le même mode décomplexant:

« Reissen Sie keine « misslungenen » Seiten aus Ihrem Skizzenbuch. Das ist hässlich und zerstört die im Buchblock gegenüberliegende Seite mit. Überarbeiten Sie die Seite lieber bei anderer Gelegenheit. Zeichnen Sie daran weiter, collagieren Sie etwas oder bringen Sie Farbe ins Spiel. Sie werden überrascht sein, was eine fehlerhafte Seite noch hergibt. »

N’arrachez pas une page « ratée » de votre carnet. C’est moche et ça abime celle à laquelle elle était reliée. Retravaillez-la plutôt à l’occasion. Continuez votre dessin, collez quelque chose ou mettez de la couleur. Vous serez surpris de ce qu’on parvient à tirer d’une page imparfaite.

Chose lue chose faite: que ce soit une page en jachère gribouillée puis reprise en main à l’aquarelle et aux feutres, ou encore un allemand transformé en hindou tout à fait par hasard (à moins que le père ait transmis sa peur à ses enfants ?!).

 

 

Genève (raiment pas des goûts de luxe)

 

En l’an 2000, on venait à Genève pour aller manger chez ma cousine. En 2017, je vais y passer trois jours chez ma soeur. Et entre les deux, c’est Trois jours chez ma mère qui a bien failli passer par la fenêtre du train Marseille-Genève…

En bonnes filles de nos parents et en l’honneur de Calvin (ou est-ce l’inverse ?), ce séjour sera sous le signe des bonheurs simples.

On commence notre shopping tour à la place des Grottes 1, chez Nature en Vrac: faire une réserve de shampooing solide (c’est à dire en acheter un, vu qu’il dure des plombes), acheter 100g d’amandes et 100g de noix de cajou.

On poursuit à la rue des Corps-Saints 3 (il n’y a pas de hasard), chez Lyzamir: excitation maximale devant la collection d’épices, j’en ai les larmes aux yeux (la faute aux poivres). Et là, alors que deux jours avant je m’étais fabriqué du dentifrice au bon goût de savon, voilà que je trouve des tubes à remplir (et ça ressemble à ça) ! Acheter du zaatar.

En remontant l’avenue Voltaire, on passe devant la pharmacie Bédat (7 boulevard James Fazy): on y trouve de quoi faire ses cosmétiques maison, et donc de la cire pour mon déodorant (recette à venir).


Recette des noix au zaatar, d’après The Middle Eastern Vegetarian Cookbook de Salma Hage.

1-2 cs d’huile d’olive, 4 cc de zaatar, 1cc de sel, 100g d’amandes entières (avec ou sans la peau), 100g de noix de cajou

Préchauffer le four à 180°. Mélanger dans un grand bol l’huile, le zaatar et le sel. Ajouter les noix et bien les enrober du mélange. Repartir sur une plaque chemisée et faire rôtir pendant 8 minutes. Sortir du four, brasser et remettre à dorer pour 5 minutes (ou moins: surveiller la couleur des noix, elles ne doivent pas noircir). Laisser refroidir et rajouter éventuellement un peu de sel.

 

 

Bad Ragaz pour le prolétariat

Depuis le balcon de l’Hotel Bambi, la vue porte jusqu’au Grand Resort Bad Ragaz: pas de quoi réveiller des rêves de luxe. Au lieu d’investir 87.- dans une fondue au champagne et aux feuilles d’or au Zollstube, on peut passer deux journées au Tamina Therme et se débarrasser du superflu dans le sauna noir

Attablés en compagnie d’une musicienne dans une ville d’eau: pas de tube de cachets laissé sur une table comme dans ce roman de Kundera, mais la découverte du gin infusé au jasmin.

Avant de prendre le train du retour, parce que nous préférons « suivre notre propre voie » sans « laisser notre empreinte » (où l’on parle d’écologie), je remplis ma gourde d’eau thermale pour emporter avec moi un peu du charme désuet de l’endroit.


Sur Google Earth, chercher Bernhard-Simonstrasse 2, Bad Ragaz. Zoomer, poser le bonhomme jaune de street view en toute sécurité sur le passage piéton et admirer les beaux balcons de l’Hotel Bambi.

Aller ensuite am Platz 1, Bad Ragaz. Il y a une place libre pour M. Street View devant la voiture blanche. On est pile en face de l’office du tourisme. La fontaine d’eau thermale où remplir sa gourde est sous la 7ème arcade.

En face du Fresh Imbiss Topyürek, à la Bahnhofstrasse 9, Bad Ragaz, se trouve un petit édifice arrondi qui fait angle avec la Kirchgasse. Il s’agit de toilettes publiques ornées d’une fresque à la gloire de la tradition thermale de la ville. S’en approcher au maximum en mode street view (encore lui) permet de se rendre compte du zèle dont fait preuve la censure googueulienne en matière de visages féminins. Alors que la mariée se baigne topless…

 

 

De la jaquette: Belle mère

Dans la catégorie des projets à très long terme, j’aimerais couvrir les favoris de ma bibliothèque de jaquettes personnalisées. Premier à y passer, Belle mère de Claude Pujade-Renaud.

Elle a écrit, Armand Bouvier l’a invitée à venir le voir: au 4, boulevard Verd-de-Saint-Julien, la gare c’était Meudon Val-Fleury, il fallait prendre le train aux Invalides. Un trajet un peu compliqué depuis Levallois. Eudoxie a toujours aimé écouter ce que racontent les mots. Ce départ des Invalides n’était pas de très bon augure mais Val-Fleury et Verd-de-Saint-Julien résonnaient plaisamment de promesses florales et verdoyantes, bien qu’elle ait repéré que ce Verd ne prenait pas de t.

Sur Google Earth, je reconstruis le parcours d’Eudoxie. Le boulevard Verd-de-Saint-Julien est plutôt décevant, alors je prends les petites rues adjacentes, sentier des Jardies, rue des Bigots… par hasard je tombe sur l’église russe.

Tout en repérant les boutiques d’alimentation, Eudoxie apprivoise les alentours, découvre une église russe aussi bien qu’un Potager du Roi. Partout des jardins, presque toujours la cabane à poules et à lapins dans un angle, des sentiers ombreux recouverts de verdure, ils se faufilent entre des pavillons qui se donnent parfois des airs endimanchés à l’aide d’un perron à pilastres ou d’une véranda aux vitres colorées.

En vrai, ce Potager est celui du Dauphin, et la pensée qu’Eudoxie habitait si près de 100 000 livres en langue slave me fait sourire.

A Meudon, avait-il expliqué, existait une importante colonie russe. La fille de Raspoutine avait logé chez eux, au second, durant quelques mois. (…) Par la suite elle avait loué une petite maison dans le sentier des Longs-Réages avec deux amies, russes également, et avait invité Lucien à plusieurs reprises. On prenait le thé, on chantait – l’une des jeunes filles se mettait au piano-, on récitait des vers. Lucien ne pouvait saisir le sens mais les sonorités lui semblaient très belles. Eudoxie ne parvenait pas à imaginer ce demi-sauvage associé à un samovar, un piano et de la poésie déclamée, toutes choses selon elle censées appartenir au seul univers des livres. Le thé ne se boit que dans les romans. Dans la vie on prend du café, ou une tisane si l’on est souffrant.

Si les pas d’Eudoxie l’avaient portée à la capitale rue Lacépède, près du Jardin des Plantes, je crois qu’il en aurait été autrement… (je sirote à l’instant même Chant d’Hirondelle de La Route du Thé. Il est tard et je devrais aller dormir…).

A Montfort-l-Amaury, elle s’aperçoit qu’elle a oublié le pain. Lucien la suit dans la boutique et lorgne sur les pâtisseries.

– Je voudrais une polonaise et une religieuse.

– Mais j’ai confectionné un cake, vous le savez bien, nous l’avons emporté !

Sourire furtif de la boulangère. Eudoxie cède, elle ne va quant même pas déclencher une scène de ménage en public, Lucien repart avec son supplément de sucreries. Dans la voiture, elle le traite avec aigreur de gosse capricieux. Il se défend, les noms des gâteaux lui plaisaient presque davantage que leur aspect, elle hausse les épaules, tiens lui aussi écoute les mots.

Amour des mots et gourmandise, les personnages de ce roman me sont décidément bien sympathiques. L’occasion de découvrir une pâtisserie désuète, la Polonaise, et la liste des people liés de près ou de loin à Monfort-l’Amaury.

Je cherchais ensuite à quoi pouvait ressembler Eudoxie dans sa jeunesse et je suis tombée sur la « photographie d’une jeune femme des années 30 d’un studio Paul Cadé à Levallois », en vente pour quelques euros sur eBay.

Le temps d’un envoi et c’est elle qui m’a servi de sujet pour la jaquette, ainsi qu’une vue aérienne de Paris découpée dans un livre de photos du monde qui trainait dans un tiroir. On y voit même les Invalides.


Extraits de Belle mère, Claude Pujade-Renaud, Editions J’ai lu

Тоска – ou le mal du pays

 

Lausanne, parc du Denantou 

Tout vient à point à qui sait attendre. Pour des raisons tout à fait personnelles, je peux en cette fin janvier songer à la Russie sans amertume: finalement.

Moment parfait pour évoquer ce livre, « If You Have A Secret », de Irina Popova.

Acheté pour pas grand chose au détour d’un salon d’art contemporain, j’avais vu comme un présage de me retrouver avec l’exemplaire 7/100 entre les mains (une vieille histoire de maillot de basket). C’est un livre de photographies, que viennent enrichir des « secrets », souvenirs de jeunesse confessés par l’auteure. J’ai retrouvé cette troublante oscillation entre beauté et laideur qui fait le charme de ce pays.

Une belle vidéo de présentation, pour tous ceux que le prix rebutera…

J’aime tout particulièrement ce texte qui clôt le livre:

Afterword

Only after you leave
do your miss your land
as if someone died,
who you didn't love
or understand enough.
In that moment you become a bird,
whose legs were curt off
and it can't land,
and has to fly eternally without a pause
until it falls dead
and until it starts to believe that
Native land exists only in its imagination.
When childhood is done
I chose to live in a different place,
but there was never day I did not think of it
horrified by the things happening there.
To return to Russia is
even sadder than living there.
It's strange to see places
where something happened, 
to see that streets
where you lived and loved
are still on the map.
It's strange to see this country
hasn't cured his wounds,
that it's still failing with even greater acceleration,
that curved routes are more pronounced.
I believe that a country consists
not of imaginary ideologies
not of rules, programs or laws,
not even of its wars and disasters,
but of the sum of the separate,
disparate human beings,
their destinies and ways.
And until everyone's personal curved route
won't become straight,
this country won't cure itself.
Yet still, there is hidden magic in it, a deep beauty
which some sentimental people call "Soul".
I felt it when I saw a woman
in Paris reading Dostoevsky on the metro.

 

Transsibérien

 

Москва

Владимир

Нижний Новгород

« Dès le dernière tasse de thé nous commencions à jeter des coups d’oeil sur le visage de l’horloge. Nous le sentions déjà venir, ce train, qui serpentait quelque part au fond de la taïga endormie. Nous sortions bien à l’avance. Et dans le silence du soir nous l’entendions approcher. »

Котельнич

Киров

Глазов

Балезино

Пермь

Un extrait du livre d’Andreï Makine, Au temps du fleuve Amour, car c’est lui qui m’a poussé dans ce wagon. Ce livre, puis un atlas, puis d’autres livres puis l’envie d’apprendre cette langue pour découvrir ce pays.

Екатеринбург

Тюмень

Ишим

Омск

Барабинск

« Il n’y eu plus d’arrêts jusqu’au bout. Nous cessâmes de nous inquiéter en comprenant que d’une escapade anodine notre voyage s’était depuis un bon moment transformé en une véritable aventure. Il fallait la vivre comme telle. Peut-être ce train fou ne s’arrêterait-il jamais ?… »

Новосибирск

Мариинск

Ачинск

Красноярск

Канск

« …La boussole d’Outkine indiquait à présent le sud. le ciel s’embrumait peu à peu, les contours des collines devenaient flous. Et le goût du vent qui s’engouffrait dans la fenêtre baissée échappait à toute définition: tiède ? humide ? libre ? fou ?… »

Нижнеудинск

Зима

Иркутск

Слюдянка

Гусиное Озеро

« …Son parfum singulier se renforçait, s’épaississait. Et, comme si la locomotive finissait par se lasser de lutter contre ce flux de plus en plus dense, comme si les wagons neufs s’enlisaient dans cette coulée odorante, le train ralentit, longea quelque banlieue insignifiante, puis un long quai, et enfin s’arrêta. »

Наушки

 

 

Dans le livre de Makine, Outkine, Samuraï et le narrateur arrivent jusqu’à l’océan Pacifique. Pour moi, ce sera un prochain voyage…


Pour les personnes ayant du temps à perdre (ou à procrastiner), un petit jeu: laquelle de ces villes-gares du Transsibérien, a-t-elle comme armoiries une injonction subliminale à courir au McDo s’acheter un cornet de frites ?

C’est dans la boîte ! Alphabet, suite et fin

Mon vieux scanner peinait à la résolution: il a été remplacé par un petit jeune (c comme cougar ?!). Après quelques retouches sur Gimp, le choix du papier, l’impression, le découpage, le laminage, le redécoupage, j’avais enfin toutes les cartes en main et un bon thé pour fêter ça !

La dernière étape fut la boîte: je voulais pouvoir cacher les lettres ou les images, pour des versions évolutives du jeu. Comme il s’agit d’un jeu pour apprendre l’alphabet, une boîte rappelant un livre me paraissait tout indiquée.

Au final, on a neuf pièces de carton épais (2mm) reliées entre elles par de la bande à border noire (25mm de large). Pour un rendu un peu moins austère, j’ai rajouté au feutre indélébile un liseré rouge le long de la bande noire.

On ferme en rabattant les volets verticaux, puis les horizontaux, et on noue le tout avec un ruban, selon les disponibilités du placard.


    

Ouvert, fermé… ouvert, fermé, ouvert, fermé… on s’amuse déjà bien.

Il est toutefois plus intéressant de jouer avec les cartes, en les étalant et en demandant au petit Robert « Il est où le whisky ? », ou bien « Où sont les fruits ? ».

    

Avec sa soeur, la grosse Bertha, on passe au niveau suivant: comme elle commence à reconnaître les lettres, on cache les images en lui demandant « C’est quelle lettre, ça ? ». Et puis un jour, on cachera les lettres, et on lui dira « Comment on écrit la lettre E, comme dans éléphant ? ». On la tourmentera avec les accents quand elle sera en âge de comprendre…