De la jaquette: Belle mère
Dans la catégorie des projets à très long terme, j’aimerais couvrir les favoris de ma bibliothèque de jaquettes personnalisées. Premier à y passer, Belle mère de Claude Pujade-Renaud.
Elle a écrit, Armand Bouvier l’a invitée à venir le voir: au 4, boulevard Verd-de-Saint-Julien, la gare c’était Meudon Val-Fleury, il fallait prendre le train aux Invalides. Un trajet un peu compliqué depuis Levallois. Eudoxie a toujours aimé écouter ce que racontent les mots. Ce départ des Invalides n’était pas de très bon augure mais Val-Fleury et Verd-de-Saint-Julien résonnaient plaisamment de promesses florales et verdoyantes, bien qu’elle ait repéré que ce Verd ne prenait pas de t.
Sur Google Earth, je reconstruis le parcours d’Eudoxie. Le boulevard Verd-de-Saint-Julien est plutôt décevant, alors je prends les petites rues adjacentes, sentier des Jardies, rue des Bigots… par hasard je tombe sur l’église russe.
Tout en repérant les boutiques d’alimentation, Eudoxie apprivoise les alentours, découvre une église russe aussi bien qu’un Potager du Roi. Partout des jardins, presque toujours la cabane à poules et à lapins dans un angle, des sentiers ombreux recouverts de verdure, ils se faufilent entre des pavillons qui se donnent parfois des airs endimanchés à l’aide d’un perron à pilastres ou d’une véranda aux vitres colorées.
En vrai, ce Potager est celui du Dauphin, et la pensée qu’Eudoxie habitait si près de 100 000 livres en langue slave me fait sourire.
A Meudon, avait-il expliqué, existait une importante colonie russe. La fille de Raspoutine avait logé chez eux, au second, durant quelques mois. (…) Par la suite elle avait loué une petite maison dans le sentier des Longs-Réages avec deux amies, russes également, et avait invité Lucien à plusieurs reprises. On prenait le thé, on chantait – l’une des jeunes filles se mettait au piano-, on récitait des vers. Lucien ne pouvait saisir le sens mais les sonorités lui semblaient très belles. Eudoxie ne parvenait pas à imaginer ce demi-sauvage associé à un samovar, un piano et de la poésie déclamée, toutes choses selon elle censées appartenir au seul univers des livres. Le thé ne se boit que dans les romans. Dans la vie on prend du café, ou une tisane si l’on est souffrant.
Si les pas d’Eudoxie l’avaient portée à la capitale rue Lacépède, près du Jardin des Plantes, je crois qu’il en aurait été autrement… (je sirote à l’instant même Chant d’Hirondelle de La Route du Thé. Il est tard et je devrais aller dormir…).
A Montfort-l-Amaury, elle s’aperçoit qu’elle a oublié le pain. Lucien la suit dans la boutique et lorgne sur les pâtisseries.
– Je voudrais une polonaise et une religieuse.
– Mais j’ai confectionné un cake, vous le savez bien, nous l’avons emporté !
Sourire furtif de la boulangère. Eudoxie cède, elle ne va quant même pas déclencher une scène de ménage en public, Lucien repart avec son supplément de sucreries. Dans la voiture, elle le traite avec aigreur de gosse capricieux. Il se défend, les noms des gâteaux lui plaisaient presque davantage que leur aspect, elle hausse les épaules, tiens lui aussi écoute les mots.
Amour des mots et gourmandise, les personnages de ce roman me sont décidément bien sympathiques. L’occasion de découvrir une pâtisserie désuète, la Polonaise, et la liste des people liés de près ou de loin à Monfort-l’Amaury.
Je cherchais ensuite à quoi pouvait ressembler Eudoxie dans sa jeunesse et je suis tombée sur la « photographie d’une jeune femme des années 30 d’un studio Paul Cadé à Levallois », en vente pour quelques euros sur eBay.
Le temps d’un envoi et c’est elle qui m’a servi de sujet pour la jaquette, ainsi qu’une vue aérienne de Paris découpée dans un livre de photos du monde qui trainait dans un tiroir. On y voit même les Invalides.
Extraits de Belle mère, Claude Pujade-Renaud, Editions J’ai lu
Тоска – ou le mal du pays
Lausanne, parc du Denantou
Tout vient à point à qui sait attendre. Pour des raisons tout à fait personnelles, je peux en cette fin janvier songer à la Russie sans amertume: finalement.
Moment parfait pour évoquer ce livre, « If You Have A Secret », de Irina Popova.
Acheté pour pas grand chose au détour d’un salon d’art contemporain, j’avais vu comme un présage de me retrouver avec l’exemplaire 7/100 entre les mains (une vieille histoire de maillot de basket). C’est un livre de photographies, que viennent enrichir des « secrets », souvenirs de jeunesse confessés par l’auteure. J’ai retrouvé cette troublante oscillation entre beauté et laideur qui fait le charme de ce pays.
Une belle vidéo de présentation, pour tous ceux que le prix rebutera…
J’aime tout particulièrement ce texte qui clôt le livre:
Afterword Only after you leave do your miss your land as if someone died, who you didn't love or understand enough. In that moment you become a bird, whose legs were curt off and it can't land, and has to fly eternally without a pause until it falls dead and until it starts to believe that Native land exists only in its imagination. When childhood is done I chose to live in a different place, but there was never day I did not think of it horrified by the things happening there. To return to Russia is even sadder than living there. It's strange to see places where something happened, to see that streets where you lived and loved are still on the map. It's strange to see this country hasn't cured his wounds, that it's still failing with even greater acceleration, that curved routes are more pronounced. I believe that a country consists not of imaginary ideologies not of rules, programs or laws, not even of its wars and disasters, but of the sum of the separate, disparate human beings, their destinies and ways. And until everyone's personal curved route won't become straight, this country won't cure itself. Yet still, there is hidden magic in it, a deep beauty which some sentimental people call "Soul". I felt it when I saw a woman in Paris reading Dostoevsky on the metro.
Transsibérien
« Dès le dernière tasse de thé nous commencions à jeter des coups d’oeil sur le visage de l’horloge. Nous le sentions déjà venir, ce train, qui serpentait quelque part au fond de la taïga endormie. Nous sortions bien à l’avance. Et dans le silence du soir nous l’entendions approcher. »
Un extrait du livre d’Andreï Makine, Au temps du fleuve Amour, car c’est lui qui m’a poussé dans ce wagon. Ce livre, puis un atlas, puis d’autres livres puis l’envie d’apprendre cette langue pour découvrir ce pays.
« Il n’y eu plus d’arrêts jusqu’au bout. Nous cessâmes de nous inquiéter en comprenant que d’une escapade anodine notre voyage s’était depuis un bon moment transformé en une véritable aventure. Il fallait la vivre comme telle. Peut-être ce train fou ne s’arrêterait-il jamais ?… »
« …La boussole d’Outkine indiquait à présent le sud. le ciel s’embrumait peu à peu, les contours des collines devenaient flous. Et le goût du vent qui s’engouffrait dans la fenêtre baissée échappait à toute définition: tiède ? humide ? libre ? fou ?… »
« …Son parfum singulier se renforçait, s’épaississait. Et, comme si la locomotive finissait par se lasser de lutter contre ce flux de plus en plus dense, comme si les wagons neufs s’enlisaient dans cette coulée odorante, le train ralentit, longea quelque banlieue insignifiante, puis un long quai, et enfin s’arrêta. »
Dans le livre de Makine, Outkine, Samuraï et le narrateur arrivent jusqu’à l’océan Pacifique. Pour moi, ce sera un prochain voyage…
Pour les personnes ayant du temps à perdre (ou à procrastiner), un petit jeu: laquelle de ces villes-gares du Transsibérien, a-t-elle comme armoiries une injonction subliminale à courir au McDo s’acheter un cornet de frites ?
C’est dans la boîte ! Alphabet, suite et fin
Mon vieux scanner peinait à la résolution: il a été remplacé par un petit jeune (c comme cougar ?!). Après quelques retouches sur Gimp, le choix du papier, l’impression, le découpage, le laminage, le redécoupage, j’avais enfin toutes les cartes en main et un bon thé pour fêter ça !
La dernière étape fut la boîte: je voulais pouvoir cacher les lettres ou les images, pour des versions évolutives du jeu. Comme il s’agit d’un jeu pour apprendre l’alphabet, une boîte rappelant un livre me paraissait tout indiquée.
Au final, on a neuf pièces de carton épais (2mm) reliées entre elles par de la bande à border noire (25mm de large). Pour un rendu un peu moins austère, j’ai rajouté au feutre indélébile un liseré rouge le long de la bande noire.
On ferme en rabattant les volets verticaux, puis les horizontaux, et on noue le tout avec un ruban, selon les disponibilités du placard.
Ouvert, fermé… ouvert, fermé, ouvert, fermé… on s’amuse déjà bien.
Il est toutefois plus intéressant de jouer avec les cartes, en les étalant et en demandant au petit Robert « Il est où le whisky ? », ou bien « Où sont les fruits ? ».
Avec sa soeur, la grosse Bertha, on passe au niveau suivant: comme elle commence à reconnaître les lettres, on cache les images en lui demandant « C’est quelle lettre, ça ? ». Et puis un jour, on cachera les lettres, et on lui dira « Comment on écrit la lettre E, comme dans éléphant ? ». On la tourmentera avec les accents quand elle sera en âge de comprendre…
Work in progress: alphabet ter (mais pas encore tout à fait miné)
Work in progress: alphabet bis
Work in progress: alphabet
Pour le Noël des jumeaux les plus mignons de la terre (en toute objectivité), je prépare un jeu de cartes pour apprendre l’alphabet:
Plus que 18 cartes à illustrer… et 32 dodos avant Noël (j’ai triché).
Sinon, magie de google, en cherchant des images d’ânes bruns, j’ai découvert une chanteuse norvégienne au doux nom: playlist toute trouvée pour accompagner la création de cet alphabet (celle-ci, par exemple).
Aller voir chez les Tchouktches
Anadyr (Анадыр): pourquoi parcourir ces rues depuis Google Earth ? Parce que le nom sonne bien ?!
Il n’y a plus ou moins rien à voir, une ville de Lego de couleurs plantés dans du gris et du blanc. Je voulais m’imaginer rentrer dans un café et étudier la carte, mais je n’ai pas réussi à trouver un seul menu. Il y a bien un Multiplex, ils y passent en ce moment le dernier Pixar…
Une ville comme un plateau de Sim City !
Pour une envie d’Extrême-Orient russe, on peut aussi se plonger dans ce livre de Youri Rytkhéou, « Unna ».
« La carrière d’Unna, petite fille de la toundra tchouktche, est tout bonnement exemplaire. Précocement russifiée, sédentarisée et convertie aux valeurs soviétiques, elle s’arrache sans regret à son milieu d’origine, affirme ses qualités de militante, poursuit une impétueuse ascension politique. Mais quelques faiblesses se manifestent lorsque, jeune femme, elle croise le chemin d’un violoncelliste juif dont elle s’éprend. Alors le vent tourne pour Unna, ou plutôt contre elle, et sévèrement… »
La Crète à Paris
Je me baladais le long des rues, le coeur ouvert à l’Imprévu et j’ai bien failli y céder, place Flora Tristan. Une bonne raison pour revenir un jour, ça et la boulangerie à l’enseigne en lettrage Art-Décoïsant.
A l’aller, la façade blanche du Daraton m’avait intriguée par sa discrétion. Et puis, manger crétois en revenant des Thermopyles, j’avais de la suite dans les idées.
J’entre, la salle est vide et ça sent le gas: petite hésitation.
Murs blancs, carreaux jaunes, mobilier en bois sombre, coussins rouges, comptoir bleu, nappes et serviettes blanches. Salade Crétoise et feuilleté aux courgettes, pommes de terre, herbes et fromages (Mpoureki). La patronne m’avait prévenu que ça prendrait un peu de temps, mais ça valait mille fois l’attente.
Entre les mots échangés et radio FIP, mes oreilles étaient elles-aussi à la fête. Cerise sur le gâteau, cette chanson du Roi et l’Oiseau : heureuse de la tête, du coeur et de l’estomac.
C’était un mercredi soir début décembre, je n’ai pas vu d’autre client de la soirée, mais Paris était mort à cette époque. Peut-être qu’en temps normal il vaut mieux réserver.
Le Daraton, 22 rue Edouard Jacques, 75014 Paris, +33 (0)1 40 47 69 77