Yoshino 1 (et des Okonomiyaki)

Nouvelle saison de rameur en salon, nouvelle expédition fluviale: nous quittons le nord du Japon pour suivre le cours de l’Yoshino sur l’île de Shikoku.

Étape n°1: source de l’Yoshino – Wakinoyama, 35 km

Départ en contrebas du mont Kamegamori, à un bon kilomètre à vol d’oiseau au sud-est du sommet: 33°47’12″N 133°11’59″E.

Dans les gorges de la Shiraidani l’eau limpide et turquoise invite à la baignade: pour en profiter, arriver la veille et passer la nuit au camping Shiraidani Auto Camping Ground.
Soyons honnêtes, les premiers kilomètres semblent peu propices au kayak…
Le Yoshino s’élargit après Erimon (pour ceux que le camping de la veille effraie, il y a là une auberge, le Farmer’s Lodge Hiiragi).
Est-il permis et conseillé de naviguer sur le lac de barrage du Nagasawa Reservoir? Il va sans dire qu’il faut sortir de l’eau avant le barrage à l’est du lac…
Après le village de Nagasawa, l’Héliport de Matsueda et le pont Tochu, le fleuve vire plein nord: c’est là sur la rive droite qu’on passe la nuit dans une petite cabane: il me faut une cuisine car je veux préparer des Okonomiyaki !


(quantités pour une personne, multiplier à l’envi)
pour la pâte: environ 120 g de chou (blanc ou chinois), 1/2 oignon nouveau, 30 g de farine pour okonomiyaki, 1 œuf, 40 g d’eau, 1 cc de bouillon dashi en granules, 30 g de lard à griller (optionnel)
pour la décoration: mayonnaise, sauce pour Okonomiyaki (à défaut mélanger du ketchup et de la sauce Worcester), copeaux de bonite sêchée (katsuobushi), algues en paillettes (aonori ou comme ici, une feuille de nori coupée en fines lamelles), gingembre mariné (beni shōga)

Émincer le chou finement, émincer l’oignon nouveau et mélanger tous les ingrédients sauf le lard.

Option lard: répartir le lard dans une poêle, commencer à le griller jusqu’à ce qu’il soit à moitié cuit.

Dans une poêle huilée verser la pâte et bien la répartir (on verse sur le lard s’il y en a). Couvrir et laisser prendre à feu moyen pendant cinq minutes environ. Retourner la poêle sur un couvercle ou une assiette, et faire glisser l’okonomiyaki dans la poêle pour cuire le deuxième côté jusqu’à ce que l’omelette soit bien cuite.

Disposer sur une assiette et ajouter les garnitures sans lésiner sur les quantités!
Dans l’ordre: sauce pour okonomiyaki, mayonnaise, copeaux de bonite, algues en paillettes et gingembre mariné.

Manger chaud ! Pour servir deux portions, utiliser deux poêles ou cuire deux okonomiyaki à la suite (ne pas faire une omelette deux couches !).

(Ta)Ti(n) de betteraves

La Table de Mangeleïev, épisode 9

Tatin de betteraves -> Ti -> Titane -> élément découvert par Wiliam Gregor -> (…) -> Théophila Gwatkin et Mary O’Brien

Pour cette variation de la fameuse tarte aux pommes des sœurs Tatin, j’ai cherché la présence de soeurs, en rapport avec les éléments chimiques Ta (tantale), Ti (titane) ou N (azote).
Il a fallu tirer les fils bien loin, mais permettez-moi de vous présenter la femme du frère de la femme du découvreur du titane, qui avait une sœur (et un oncle fameux portraitiste).
Voici donc les deux soeurs Palmer Mary O’Brien et Théophila Gwatkin aux délicates joues rose betterave, d’après des portraits peints par leur oncle.


Pour un moule à tatin de 28 cm de diamètre (deux grosses portions): 240 g de farine, 20 g d’huile d’olive, 120 g d’eau, 2 cs de zaatar (facultatif), 1/4 cc de sel; 2 betteraves (crues ou cuites), 1 oignon, 2 gousses d’ail, 4 cs d’huile d’olive, 2 cs de vinaigre balsamique, 2 cs de miel, crème de raifort, aneth

Préparer la pâte en mélangeant la farine, les 20 g d’huile, l’eau, le zaatar et le sel. Former une boule et réserver au frais. Préchauffer le four à 180° chaleur tournante.

Émincer l’oignon et l’ail, verser 1 cs d’huile dans le moule à tatin, y faire revenir l’oignon et l’ail puis réserver dans un bol.

Ajouter dans le moule les 3 cs d’huile restantes, le vinaigre et le miel, faire caraméliser à feu doux, recouvrir le fond avec une betterave environ coupée en tranches de l’épaisseur d’un gros doigt. Râper le reste des betteraves, colmater les trous, puis repartir l’oignon et l’ail par dessus.

Étaler la pâte de sorte à pouvoir couvrir le moule, bien presser les bords sur les côtés à l’intérieur, puis enfourner pour 30 minutes environ.

Sortir du four, attendre 2 minutes puis poser sur le moule un plat plus large que celui-ci et retourner. Servir avec la crème de raifort et saupoudrer d’aneth.


Rendons hommage aux soeurs de Joshua Reynolds sans le soutien desquelles il n’aurait pas eu la carrière qu’on lui connaît.

Pisciotta

Le printemps est là et l’appel du sud aussi: je cherche dans mes archives photos un paysage à dessiner, en attendant de pouvoir prendre la route des vacances.

À la recherche de trois hiboux (Restorante Tre Gufi) au sommet d’un nid d’aigle (Pisciotta), sur la fameuse route qui mène les cyclistes de Rome à Brindisi. Les hiboux sont fermés hors-saison, mais le bar Germania est là, avec ses granite maison.

Version provisoire en noir et blanc, pour celles ou ceux qui voudraient faire du coloriage… J’hésite encore à cacher dans l’image trois hiboux, à la façon des devinettes d’Épinal: la nuit porte conseil, attendons demain (ou vais-je cacher un poisson ?).


En parlant de vacances et d’Italie, je pose ici comme aide-mémoire les envies du moment:
Vicenza, pour son Teatro Olimpico
Torre del Lago, pour chanter Nessun dorma sur la plage
Torino, en écho au Système périodique de Primo Levi et au film Amanda
Vercelli, apparition fantasmée depuis l’autostrada A26

Ishikari 5 – arrivée à la mer

Étape n°1
Étape n°2
Étape n°3
Étape n°4

Étape n°5: Shinshinotsu – Embouchure de l’Ishikari, 50 km

Dernière étape de notre descente de l’Ishikari, qui se jette dans la mer au nord de Sapporo.

On file plein sud jusqu’à la ville d’Ebetsu. Retour à la vie citadine et retour aux bonnes habitudes, il nous faut une librairie, un parc et un petit restaurant pour ce début de journée: Ebetsu Tsutaya Books, Moerenuma Park, 鳥ぶじ (un restaurant de yakitori).

Dernier shot de nature à la tourbière de Makunbetsu et ses choux puants: réminiscence de notre deuxième étape.

Derniers mètres de l’Ishikari, et pour l’accompagner jusqu’au bout, nous allons jusqu’à la pointe nord du parc Hamanasu no oka.
Hamanasu, littéralement aubergine de rivage: voilà qui donne faim ! Les allemands l’appellent d’ailleurs la rose patate (Kartoffel-Rose). En français, on trouve l’expression tomate de plage, outre ses noms moins gourmands de rosier rugueux ou rosier du Japon.
Oka signifie quelque chose comme la colline: n’ayez crainte, amis cyclistes, c’est une colline bien plate, mais elle est paraît-il venteuse et comme tout bon tour à vélo s’achevant en bord de mer, les derniers kilomètres se feront avec un vent de face !

Akhmatova 19 – Pavés

La série des poissons illustrants des poèmes et sur pause: il faudra attendre juillet pour de nouveaux dessins.
En attendant les traductions s’empilent, et j’entame une nouvelle série d’illustrations rapides, inspirées par des photos prises dans la ville (et qui me font penser de près ou de loin à Akhmatova).

Entre P&P 17 et Akhmatova 19, il manque le numéro 18: il s’agit du poème Le saule (Ива), qui me ferait presque pleurer, tant il me donne du fil à retordre.



Маяковский в 1913 году

Я тебя в твоей не знала славе,
Помню только бурный твой рассвет,
Но, быть может, я сегодня вправе
Вспомнить день тех отдаленных лет.
Как в стихах твоих крепчали звуки,
Новые роились голоса…
Не ленились молодые руки,
Грозные ты возводил леса.
Все, чего касался ты, казалось
Не таким, как было до тех пор,
То, что разрушал ты, – разрушалось,
В каждом слове бился приговор.
Одинок и часто недоволен,
С нетерпеньем (?) торопил судьбу,
Знал, что скоро выйдешь весел, волен

На свою великую борьбу.
И уже отзывный гул прилива
Слышался, когда ты нам читал,
Дождь косил свои глаза гневливо,
С городом ты в буйный спор вступал.
И еще не слышанное имя
Молнией влетело в душный зал,
Чтобы ныне, всей страной хранимо,
Зазвучать, как боевой сигнал.

Maïakovsky en 1913

Je ne te connaissais pas au temps de ta gloire,
Mais je me souviens de tes fougueux débuts,
Et peut-être suis-je quand même en droit ce soir
D’évoquer un jour de ce temps révolu.
Comme dans tes vers, les sons montaient crescendo,
Ce brouhaha fourmillait de voix nouvelles…
Toi, tu bâtissais de monstrueux échafauds
Et tes jeunes mains s’affairaient de plus belle.
Tout ce qui autrefois avait pu te toucher
Ne t’émouvais plus de la même façon,
Ce que tu avais assailli gisait brisé,
Chaque mot portait une condamnation.
Être solitaire et rarement satisfait,
Tu pressais le destin avec impatience
En sachant que bientôt, joyeux, tu t’en irais
Libre d’aller mener ton combat immense.
Et déjà c’était la marée qu’on entendait,
Le bruit du ressac, quand tu lisais pour nous,
La lune en colère avec ses yeux qui louchaient,
La ville sur qui s’abattait ton courroux.
Ton nom que personne encore ne connaissait
Vola soudain dans l’air lourd, tel un éclair,
Et aujourd’hui chéri par le peuple au complet
On l’entend résonner comme un cri de guerre.

Anna Akhmatova
3-10 mars 1940

Pieds: 12/11
(original: 10/9)
Vers croisés


J’ai choisi, une fois n’est pas coutume, d’ajouter deux pieds à l’original: mal m’en a pris, le résultat est passablement indigeste. Le pauvre Maïakovski méritait mieux que ça!


Maïakovski: son nom reste pour moi celui de ma rue, de ma station de métro. Voilà pourquoi il se retrouve illustré par des pavés disjoints.

Maïakovski, avant d’être le nom d’une rue, était l’auteur d’un livre en russe que grand-papa avait sorti d’une armoire: Любовь – это сердце всего.
L’amour – c’est le cœur de tout, ou Amour – au coeur de tout: libre à moi d’inventer le titre en français, vu qu’il n’est pas encore traduit. Il s’agit de la correspondance amoureuse du poète avec Lili Brik.
Je ne pouvais pas encore le lire à l’époque, mais il attend patiemment son heure dans ma bibliothèque: cette année sera-t-elle la bonne ?

Entrée-Plat-Dessert



(photo de l’originale, restée à Winterthur pour l’exposition: pas pensé à la copier entre le manque de sommeil et l’odeur de croissants du brunch)


19.10.24, 12h00 – 20.10.24, 10:31

Quel plaisir de se retrouver à l’Alte Kaserne de Winterthur pour une nouvelle édition du 24-Hour Comic, organisé par le Comic Panel Winterthur.

J’avais décidé de prendre comme fil conducteur l’horloge organique de la médecine traditionnelle chinoise. Et comme protagonistes, plus ou moins les mêmes petits bonhommes que la dernière fois.


Le tout sera scanné plus proprement une fois l’expo à Winterthur terminée.

P&P 17: pour ses beaux yeux

Poisson-ange duc, kula kokaamas, 20 cm

Un poisson, un poème: épisode 17

Клеопатра

« Александрийские чертоги
Покрыла сладостная тень. »
Пушкин

Уже целовала Антония мертвые губы,
Уже на коленях пред Августом слезы лила…
И предали слуги. Грохочут победные трубы
Под римским орлом, и вечерняя стелется мгла.
И входит последний плененный ее красотою,
Высокий и статный, и шепчет в смятении он:
«Тебя – как рабыню… в триумфе пошлет пред собою…»
Но шеи лебяжьей все так же спокоен наклон.

А завтра детей закуют. О, как мало осталось
Ей дела на свете – еще с мужиком пошутить
И черную змейку, как будто прощальную жалость,
На смуглую грудь равнодушной рукой положить.

Cléopâtre

« Une ombre douce recouvrit
Le palais d’Alexandrie. »
Pouchkine

Déjà elle avait embrassé les lèvres mortes d’Antoine,
Déjà elle avait aux pieds d’Auguste versé ses pleurs…
Grondants sous l’aigle romain, les trompettes de la victoire,
La nuit qui tombe et elle, trahie par ses serviteurs.
Entre alors le dernier homme que sa beauté a ravi,
Grand et fort, il ne peut dans son trouble que murmurer:
 « Toi, comme une esclave… menée en triomphe devant lui… »
Mais le long cou de cygne reste calme et penché.

Demain ses enfants seront enchaînés. Oh, c’est tout le peu
Qu’il lui reste ici-bas – prendre avec l’homme un ton badin,
Et d’une main indifférente, comme un cadeau d’adieu,
Déposer un serpent noir sur le bronze de son sein.

Anna Akhmatova
7 février 1940

Pieds: 15/14/…/15/13//15/14/15/14
Vers croisés


Heureux hasard, le dernier poisson de la série est le poisson-ange royal (ou poisson-ange duc): parfait pour Cléopâtre.
Qui plus est, sa robe ne fait-elle pas penser aux traits de khôl, qui soulignaient les yeux de madame ? Khôl, dérivé de l’araméen khulā: bingo, c’est quasi le nom (kula) de notre poisson-ange (kokaamas) en divehi !


Akhmatova prend un peu de liberté sur la rime des vers 9 (осталось) et 11 (жалость): je m’en accorde une aux vers 1 (Antoine) et 3 (victoire).

P&P 16: foyer, fuyez!

Poisson-clown des Maldives, dhivehi maagandumas, 9 cm

Un poisson, un poème: épisode 16

От тебя я сердце скрыла,
Словно бросила в Неву…
Прирученной и бескрылой
Я в дому твоем живу.
Только… ночью слышу скрипы.
Что там – – в сумраках чужих?
Шереметевские липы…
Перекличка домовых…
Осторожно подступает,
Как журчание воды,
К уху жарко приникает
Черный шепоток беды –
И бормочет, словно дело
Ей всю ночь возиться тут:
«Ты уюта захотела,
Знаешь, где он – твой уют?»

J’ai caché mon coeur loin de ta vue,
Comme jeté dans la Neva…
Apprivoisée, les ailes rompues,
J’habite maintenant chez toi.
Mais… la nuit j’entends des grincements.
Qu’y a-t-il dans l’obscurité?
Les tilleuls frémissants sous le vent…
L’appel de l’esprit du foyer…
Pareil au bruit de l’eau qui ruisselle,
Il s’approche à pas de voleur
Et vient me susurrer à l’oreille,
Le noir murmure du malheur –
Il grommèle comme s’il devait
Passer la nuit à chahuter:
 « C’est le confort que tu désirais,
Eh bien alors, l’as-tu trouvé? »

Anna Akhmatova
1936

Pieds: 9/8
(original: 8/7)
Vers croisés


Une foyer où l’on ne se sent plus en sécurité ? Mais c’est l’anémone des parents de Nemo!


Dans l’original, les tilleuls sont шереметевские, c’est à dire (du palais) de Cheremetiev: c’est qu’Anna Akhmatova a habité plus de trente ans.

Dans le rôle de l’esprit du foyer, vous aurez reconnu le domovoï.

P&P15: b(l)ancs de poissons

Tamarin à bande noires, galhi kendi thunbodu hikaa, 40 cm

Un poisson, un poème: épisode 15

Заклинание

Из высоких ворот,
Из заохтенских болот,
Путем нехоженым,
Лугом некошеным,
Сквозь ночной кордон,
Под пасхальный звон,
Незваный,
Несуженый,
Приди ко мне ужинать.

Incantation

De sous les hautes portes-cochères,
Des marais par-delà la rivière,
Par des pistes jamais foulées,
Par des prairies abandonnées,
À l’insu des sentinelles,
Pâques sonnants de plus belle,
Spontané,
Inespéré,
Viens prendre le souper chez moi.

Anna Akhmatova
15 avril 1936

Pieds: 9/9/8/8/7/7/3/4/8
(original: 6/7/6/6/5/5/3/4/7)
Vers croisés


Le poisson du jour a de larges blancs sur le dos, cette traduction aussi: beaucoup d’informations du poème ont été passées à la moulinette des rimes et des pieds.
Les marais par-delà la rivière, ce sont les marais de l’Okhta.
Les prairies abandonnées sont des champs pas fauchés.
Les sentinelles sont un cordon (de police) nocturne.
Inespéré, pour dire à l’improviste.

Comme il s’agit d’une incantation, j’ai essayé de privilégier le rythme et les répétitions, à la manière d’une formule magique.