Canada: Nova Scotia – North

« Pris et protégé

Pris et protégé et condamné par la mer
Je flotte au creux des houles
Les colonnes du ciel pressent mes épaules
Mes yeux fermés refusent l’archange bleu
Les poids des profondeurs frissonnent sous moi
Je suis seul et nu
Je suis seul et sel
Je flotte à la dérive sur la mer
J’entends l’aspiration géante des dieux noyés
J’écoute les derniers silences
Au-delà des horizons morts
 »

Alain Grandbois

De l’île du Cap-Breton au Cap Split, le vent et les moustiques nous incitent à la pochade.
On s’empiffre de crustacés (coquilles St. Jacques, homards) et de tarte au prune à croûte double.
Les lupins de Pleasant Bay ont déjà fleuri, mais les roches et les marées de la baie de Fundy sont toujours là.


Petite promenade au lac de la mine de gypse près de Chéticamp (prendre les maillots): Gypsum Mine Trail
Grande promenade pour aller au Cap Split: Cape Split Hike

Canada: Québec


Québec, bordée par les larges flots du Saint-Laurent,
La rivière Saint-Charles s’y fait toute petite,
Elle ne fait ni la maline ni le poids face aux chutes Montmorency.

Au-bas de l’escalier Lépine (et ses banc suspendus brinquebalants), l’épine dans le pied du quartier St-Roch: le petit parc et la rue du Pont qui effrayent les ingénues sorties du Morrin College.

« …or je descends vers les quartiers minables bas et respirant dans leur remugle
je dérive dans les bouts de rues décousus…
 »: ces vers de Gaston Miron semblent de circonstance.

Oh! qui me rendra ma piscine, et mon hôtel sur la colline ?
Oh who will give me back my piscine, and my hotel up on the hill?

Québec, c’est aussi un hôtel au style floridien et la découverte d’Helen McNicoll au musée national des beaux-arts du Québec.


Hotel Royal Palace, 775 Av. Honoré-Mercier

Restaurant Sardines, 1 Rue Saint-Jean

Librairie Première Issue, 27 Rue D’Auteuil


pour continuer à (pseudo)citer du Nabokov: The Nabokovian

Canada: au chalet

« Éveil au seuil d’une fontaine

Ô ! spacieux loisir!
Fontaine intacte
Devant moi déroulée
À l’heure
Où quittant du sommeil
La pénétrante nuit
Dense forêt
Des songes inattendus
Je reprends mes yeux ouverts et lucides
Mes actes coutumiers et sans surprises
Premiers reflets en l’eau vierge du matin.
La nuit a tout effacé mes anciennes traces.
Sur l’eau égale
S’étend
La surface plane
Pure à perte de vue
D’une eau inconnue.
Et je sens dans mes doigts
À la racine de mon poignet
Dans tout le bras
Jusqu’à l’attache de l’épaule
Sourdre un geste
Qui se crée
Et dont j’ignore encore
L’enchantement profond.
 »

Anne Hébert

Un chalet, c’est derrière les arbres les voix d’amis chers,
Les quartes des bruants, le chant des ouaouarons,
Et la ritournelle d’un petit garçon.


À peine avions-nous échappé au « divorce boat », le kayak à deux places, voilà que le chant du bruant allait donner lieu à des discussions sur le rythme… il y avait une raison à cela, c’est la faute à la mode (et aux femelles, comme d’hab).
Article plus complet (en anglais) sur cette mode musicale chez les white-throated sparrows.


Quelques infos sur le Parc national du Mont-Tremblant

Canada: Montréal

« L’expérience géographique

Quelque chose en avant comme la ville
la peau parcourue à l’ombre des buildings
attendre quant aux géographies amoureuses
que ce texte du savoir et des saveurs
ne cache jamais ou trop
le désordre des cerveaux
cigarettes précises ou drague inconsolable
que la ville inédite rend mon corps
périlleux puisque émeute d’âmes
quelque chose dans l’été lisse
le début de l’amour
car klaxonnements et bruissements :
c’est la perte de mon identité.

La ville ou l’expérience, dis-je. »

André Roy

Montréal, ça commence sur le Mont Royal, pour voir le soleil se coucher encore plus à l’ouest et voler les vers-luisants.
Montréal, c’est la joie de manger un bagel à l’aube, en regardant filer un raton-laveur gris et gras.
Montréal, ses cookies, ses façades, ses ruelles vertes et fleuries.


Fairmount Bagel, 74 Av. Fairmount O

Café Différance, 449 Av. Viger O

Bar Darling, 4328 Boul. Saint-Laurent

Librairie Le port de tête, 222 Avenue du Mont-Royal

Treppen der Stadt, épisode 12: Fluhweg

Fluhweg

320 marches entre Berneggstrasse et Falkenburgstrasse

à voir: après 259 marches en montant, on arrive à une plate-forme d’observation avec une belle vue sur la vieille ville, la Mülenenschlucht (gorges de la Mülenen) et le Bodensee.

à faire: se reposer les jambes sur le banc en haut des escaliers, puis redescendre en ville par le chemin de la Mülenenschlucht, pour voir et entendre la Steinach de plus près. Si les jambes ne suivent plus, redescendre par le Mühleggbahn.

P&P 12: mystérieuse créature à cornes

Raie léopard, vaifiya madi, 1.4 m d’envergure

Un poisson (ou pas vraiment), un poème: épisode 12

Одни глядятся в ласковые взоры,
Другие пьют до солнечных лучей,
А я всю ночь веду переговоры
С неукротимой совестью своей.

Я говорю: «Твое несу я бремя
Тяжелое, ты знаешь, сколько лет.»
Но для нее не существует время,
И для нее пространства в мире нет.

И снова черный масленичный вечер,
Зловещий парк, неспешный бег коня
И полный счастья и веселья ветер,
С небесных круч слетевший на меня.

А надо мной спокойный и двурогий
Стоит свидетель… о, туда, туда,
По древней подкапризовой дороге,
Где лебеды и мертвая вода.

Les uns s’échangent de longs regards alanguis,
D’autres boivent jusqu’au lever du soleil,
Tandis que moi je marchande toute la nuit
Avec ma conscience farouche et rebelle.

Je dis: « Sais-tu depuis combien de temps déjà
Me voilà à te traîner comme un fardeau? »
Mais pour la conscience le temps n’existe pas,
L’espace non plus, ce ne sont que des mots.

Et de nouveau la sombre nuit de carnaval,
Sous le vent rempli de bonheur et de joie,
Dans ce funeste parc, le pas lent d’un cheval
Et ce vent tombé du ciel sifflant sur moi.

Mais en surplomb, avec son calme et ses deux cornes
Se tient un témoin… oh faites qu’on m’emporte
Par ce vieux chemin, sous le Caprice qui l’orne,
Là, là où les cygnes glissent sur l’eau morte.

Anna Akhmatova
3 novembre 1935
Maison sur la Fontanka

Pieds: 12/11
(original: 11/10)
Rimes croisées


Note de la traductrice: le Caprice est un élément architectural séparant les parcs Catherine et Alexandre à Pouchkine, près de St. Pétersbourg.

Qui est ce témoin, tranquille, avec ses deux cornes ?
J’étais partie tout feu tout flamme dans l’idée qu’il s’agit du diable, d’autant plus qu’Akhmatova parle plus haut des va-et-vient de sa conscience: c’est cette Tentation de Milou qui s’impose à mon esprit et peut-être le trouble.
J’ai ensuite cherché en vain une statue cornue dans les environs du Caprice, idée suggérée par mon vis-à-vis, peine perdue.
La question reste ouverte pour le moment.


Un personnage en surplomb et à cornes ? Dans mon cahier de créatures marines, il s’agit à coup sûr d’une raie !

Treppen der Stadt, épisode 11: Birtweg

Birtweg

134 marches entre Steingrüeblistrasse et Speicherstrasse

à voir: une jolie perspective sur les deux tours de la cathédrale depuis l’Axensteinstrasse

à faire: remplir son panier de Panettone en-bas de l’escalier ( la Fabbrica del Panettone est ouverte en période de l’Avent, sinon la Panetteria est 200m plus loin); enquiller des paniers au mini terrain de basket au bout de l’Axensteinstrasse; déballer son panier de pique-nique sur l’herbe du petit parc adjacent

P&P 11: y a plus d’saisons

Girelle paon bigarrée, baiypen hikaa, 14 cm

Un poisson, un poème: épisode 11

Не бывалая осень построила купол высокий,
Был приказ облакам этот купол собой не темнить.
И дивилися люди: проходят сентябрьские сроки,
А куда провалились студеные, влажные дни?
Изумрудною стала вода замутненных каналов,
И крапива запахла, как розы, но только сильней.
Было душно от зорь, нестерпимых, бесовских и алых,
Их запомнили все мы до конца наших дней.
Было солнце таким, как вошедший в столицу мятежник,
И весенняя осень так жадно ласкалась к нему,
Что казалось – сейчас забелеет прозрачный подснежник…
Вот когда подошел ты, спокойный, к крыльцу моему.


Un automne sans précédent avait dressé haut dans le ciel un dôme,
Ordre fut donné aux nuages de ne pas venir le troubler.
Et les gens, ravis, s’étonnaient: voilà que septembre est presque fini,
Où ont-ils donc bien pu passer, les interminables jours de pluie ?
L’eau trouble des canaux s’était parée de reflets couleur émeraude,
Les orties, pires que des roses, embaumaient l’air d’un parfum trop lourd.
On étouffait sous des crépuscules pourpres, dantesques, insupportables,
Tous parmi nous s’en souviendront jusqu’à la fin de leurs jours.
Tel un fauteur de troubles, le soleil déboulait dans la capitale,
Et ce bel automne printanier les caressait si ardemment,
Qu’on s’attendait presqu’à voir les perces-neiges pointer leur nez blanc pâle.
Et tu apparus devant ma porte, calme, là, à cet instant.

Anna Akhmatova
Septembre 1922

Pieds: 18/17… 18/15! 18/17…
(original: 16/15… 16/13! 16/15…)
Rimes inégales: vers 3&4, vers 6&8, vers 9&11, vers 10&12


La couleur émeraude de l’eau, l’écarlate des couchers de soleil: on retrouve ces couleurs (et d’autres) sur le poisson du jour, la girelle paon bigarrée.


Anna Akhmatova nous parle du temps, je ne me gêne pas pour faire de même: aujourd’hui, 21 juin, premier jour de l’été, il pleut à verse, avec des orages en plaine et en montagne (Flumserberg ne fait pas exception).


La recherche de l’étymologie du mot girelle me prouve une fois de plus à quel point South Park est visionnaire. Le lecteur attentif aura suivi pourquoi je me retrouve à vérifier l’existence de cours de céramique à Montréal: et en voyant les photos, c’est clair, Kenny et ses amis y avaient déjà pensé !

P&P 10: 102 ans plus tard

Tortue imbriquée, kahambu, 80 cm

Un poisson (ou pas vraiment), un poème: épisode 10

Не с теми я, кто бросил землю
На растерзание врагам.
Их грубой лести я не внемлю,
Им песен я своих не дам.

Но вечно жалок мне изгнанник,
Как заключенный, как больной.
Темна твоя дорога, странник,
Полынью пахнет хлеб чужой.

А здесь, в глухом чаду пожара
Остаток юности губя,
Мы ни единого удара
Не отклонили от себя.

И знаем, что в оценке поздней
Оправдан будет каждый час…
Но в мире нет людей бесслезней,
Надменнее и проще нас.

Je ne fus de ceux qui abandonnaient
Leur patrie aux mains de l’ennemi.
Mes chansons, ils ne les auraient jamais,
Au diable leur viles flatteries.

Il me déchire le coeur, l’exilé,
L’air malade, comme mis aux fers,
Que ta route est funeste, étranger,
Le pain, ailleurs, a un goût amer.

Mais ici, ruinant dans les incendies
Ce qu’il restait de notre jeunesse,
Malgré tout, pas une fois l’on ne fit
Mine d’esquiver les coups qui blessent.

Et nous savons qu’un jour, sous d’autres cieux,
L’on rendra compte de chaque instant…
Pourtant nulle part au monde les yeux
Ne sont plus secs et plus arrogants.

Anna Akhmatova
1922

Pieds: 10/9/10/9
(original: 9/8/9/8)
Rimes croisées


Le pain, ailleurs, a un goût amer. Littéralement, ce pain sent l’armoise (полынь). On peut penser qu’elle parle de l’armoise amère (полынь горкая): l’absinthe. J’ai suivi la voie tracée par le traducteur allemand, qui ne garde de cette plante que son amertume.
Traducteur qui m’a malgré lui mis sur la piste des différents sens de l’adjectif глухой:
1. sourd (que ce fameux traducteur teuton use par tous les temps)
2. perdu, reculé (comme dans ce poème)
mais aussi 3. épais (comme ici, au vers 9: dans l’épaisse fumée de l’incendie, mais sacrifié pour respecter les pieds).


Pourquoi la tortue ? Parce qu’elle vit longtemps, en hommage au temps long qui apparaît dans le vers 13, l’opinion qui viendra plus tard, et que j’interprète comme « un jour, le monde saura ». Traduit ici par sous d’autres cieux (temporels et politiques), cieux rimant avec yeux.

P&P 9: la nuit, tous les calembours sont gris

Poisson-faucon à taches de rousseur, thijjehi gaaboa, 15 cm

Un poisson, un poème: épisode 9

Ночью

Стоит не небе месяц, чуть живой,
Средь облаков струящихся и мелких,
И у дворца угрюмый часовой
Глядит, сердясь, на башенные стрелки.

Идет домой неверная жена,
Ее лицо задумчиво и строго,
А верную в тугих объятях сна
Сжигает негасимая тревога.

Что мне до них ? Семь дней тому назад,
Вздохнувши, я прости сказала миру.
Но душно там, и я пробралась в сад
Взглянуть на звезды и потрогать лиру.

De nuit

Une lune à moitié morte se ballade
Dans le ciel où s’effilochent de fins rubans,
Et la sentinelle du palais, maussade,
Guette l’horloge et la lente marche du temps.

Le visage pensif et les traits sévères,
La femme adultère regagne son foyer.
La fidèle, quand à elle, désespère,
Prise d’angoisse dans son sommeil agité.

Que m’importe ? Il y a sept jours, maintenant,
J’ai fait mes adieux au monde, dans un soupir.
J’y étouffais et j’ai pris la clef des champs,
Admirant les étoiles et jouant de la lyre.

Anna Akhmatova
Automne 1918
Moscou

Pieds: 11/12
(original: 10/11)
Rimes croisées


J’ai fait mes adieux au monde: c’est ce que semblent me dire les poissons-faucon à taches de rousseur, posés caca-boudinants sur les blocs de corail et semblant perpétuellement tirer la tronche. L’air maussade comme la sentinelle du poème, mais ils ne montent pas la garde, eux: ils sont à l’affût d’une proie sur laquelle fondre.

…phrase qui m’inspire un calembour:
Quelles est la différence entre un faucon et un esquimau ?
Le faucon fond sur sa proie, l’esquimau fond sur les doigts.
(la journée était longue et il est tard)


Les nuages du deuxième vers, littéralement ruisselants et fins, m’ont poussés à quelques recherches et j’ai découvert les nuages noctulescents (le correcteur automatique bute également sur ce mot). Est-ce de cela dont elle parle ici ?